Le champ de compétences du Directeur Juridique s’accroît d’années en années et les attentes du top management se renforcent. En effet, le Directeur Juridique se doit d’être à la fois expert du droit, conseil opérationnel et commercial, business partner, legal risk manager, responsable de la conformité, chef de projet, manager, stratège…
Franck Rohard, Secrétaire Général et Directeur Juridique d’Europcar Mobility Group nous livre sa vision du métier.
Quel est votre parcours et depuis combien de temps exercez-vous ce métier de juriste ?
J’ai commencé il y a plus de vingt ans comme chargé de travaux dirigés à l’université. Puis j’ai rejoint une compagnie aérienne qui faisait l’objet d’une cession de contrôle et luttait contre l’État français pour faire appliquer la directive Open Sky. Après quelques années dans ce secteur, consacrées au développement d’offres nouvelles à destination des clients (et non des usagers), et à la restructuration des acteurs privés, asphyxiés par l’omniprésence de l’État, et de sa compagnie nationale. Ensuite j’ai eu le plaisir d’être de rejoindre un opérateur de télécommunications et de participer à la promotion des nouvelles technologies des nouveaux usages digitaux. Dans ce cadre, j’ai appris à vivre dans un monde qui se révolutionne tous les six mois et où les champions d’un jour ont disparu le lendemain. Une dernière aventure m’a conduit chez Europcar Groupe ou mes missions ont évolué au fils des différends projets.
En quoi consiste votre métier de Directeur Juridique aujourd’hui ? Comment a-t-il évolué ?
Le métier regroupe désormais plusieurs acceptions de la fonction qui va de Directeur Juridique à General Counsel (version anglo-saxonne de notre métier) jusqu’à Secrétaire Général, dernière évolution plus franco française.
A mon sens, le métier n’a pas radicalement changé mais est de mieux en mieux reconnu au sein des entreprises. Nous sommes aidés en cela par une règlementation galopante et foisonnante, des positions répressives et de plus en plus agressives de la part des différentes autorités et enfin, par l’influence anglo-saxonne.
Peut-être de façon iconoclaste je ne parlerai pas de la digitalisation de notre métier, qui n’est qu’une exigence de notre époque, mais plutôt de la gestion du temps, qui en soi est une évolution profonde. Les journées de nos aînés étaient rythmées par l’arrivée et le départ du courrier ; désormais nous devons répondre instantanément et simultanément, via plusieurs médias (emails, SMS, WhatsApp etc…) et ce alors que les problématiques traitées sont de plus en plus complexes. Nous sommes soumis à cette forte pression du temps mais aussi à celle de la très grande technicité du droit. Ce difficile équilibre à maintenir sans cesse constitue une évolution majeure.
Nous bénéficions au sein de l’entreprise d’une position quasi-unique, transversale à l’ensemble des métiers, du plus technique au plus commercial. De ce fait, il nous incombe de comprendre les spécificités de chacun, de nous impliquer dans chacun des ses business et d’assumer la responsabilité de la pleine cohérence des différentes branches. Fini le chétif juriste poussiéreux, enfermé dans son bureau ou sa tour ! Corollaire de cette évolution : le Directeur Juridique est beaucoup plus exposé, à la fois en raison de ses responsabilités mais aussi en raison des changements de dirigeants et des comités exécutifs dont il est membre.
Qu’est-ce qu’un bon manager juridique ?
Cette question est double. Qu’est ce qu’un bon manager ? Je ne prétends pas avoir de réponse universelle, tout au plus des convictions. L’essentiel à mes yeux est de respecter ses collègues, leur personnalité. Sans écoute ni compréhension des personnes qui travaillent avec soi, il n’y a pas de résultats.
Dans le cadre juridique, le manager se doit d’être exigeant. Son métier en effet devient de plus en plus technique, soumis à un foisonnement de règles précises qu’il ne peut ignorer. En entreprise, enfin, être un bon technicien ne suffit pas. Le manager juridique doit aussi comprendre les économies des marchés sur lesquels intervient son entreprise ; il manage le business comme ses autres collègues. Enfin il doit être polyglotte (non pas parler couramment mandarin !)…, mais parler le langage propre à chacune des composantes de l’entreprise. Il lui faut également consulter sans retenue ses propres équipes spécialisées dans un domaine particulier du droit.
Vous exercez également la fonction de Secrétaire Général, en quoi diffère-t-il de celle de Directeur Juridique et comment articulez-vous ces 2 fonctions ?
La fonction de Secrétaire Général regroupe, au-delà de celle purement juridique, d’autres fonctions plus ou moins proches de l’expertise juridique. Pour ma part j’ai le plaisir d’accompagner les fonctions DPO et compliance mais également l’activité Public Affairs que j’ai créée au sein du groupe il y a un peu plus de deux ans maintenant. Je contrôle aussi fonctionnellement l’activité de la sécurité informatique. Chacun de ces périmètres possède sa propre dynamique et doit être animé de façon autonome même si les managers qui en ont la responsabilité entretiennent des liens étroits avec les équipes juridiques. Par définition même, la compliance, tout comme la mission spécifique dévolue au DPO, exigent de l’autonomie. Très en amont, l’activité Public Affairs a aussi ses propres objectifs, principalement d’ordre économique. Il convient donc de favoriser les échanges entre l’expertise juridique et ces autres activités tout en respectant voire encourageant leur dynamique particulière.
Quelles ont été vos satisfactions professionnelles les plus marquantes ?
Spontanément je dirais le plaisir d’aller au bureau (y compris virtuellement) et de travailler en équipe. Même en période de crise sanitaire, le lien avec l’équipe demeure. C’est un facteur important non seulement de plaisir mais aussi d’efficacité : ensemble, ne serait ce que par chat et visioconférence. Partager, comprendre peu à peu, s’approprier la culture spécifique de chaque nationalité représentée au sein des équipes, voilà ce qui fait la richesse du travail.
Ma plus grande satisfaction ? Elle est à venir avec le prochain challenge, et avec d’autres encore ; se saisir de la possibilité de faire changer les choses.. ; ce qui n’est pas contradictoire avec le fait de célébrer des succès, élément important de la dynamique de groupe.
Quels sont vos prochains défis ?
Ils sont très nombreux mais le principal est d’accompagner, de soutenir, de guider, de pousser notre entreprise vers le basculement complet dans le monde full digital.
Je l’ai dit, la digitalisation de notre métier, l’adaptation aux multiples législations n’est nullement des défis tout au plus des sujets ponctuels ou à la mode. Ils font partie de notre métier, de notre quotidien.
Un vrai défi, mais qui ne m’est pas personnel, consisterait peut-être à réfléchir à la place que doit prendre les entreprises dans la société. Le débat s’anime autours d’une vision d’une parfaite étanchéité du monde de l’entreprise à la vie de la cité et, à l’opposé, l’entreprise comme outil de régulation de la vie des citoyens. Notre métier est à la charnière de la philosophie, des acteurs économiques, de la sociologie et de la politique. Juristes, nous savons que la cité n’existe que par les règles qu’elle fixe ; partie prenante du monde de l’entreprise nous avons aussi une vision réelle de son fonctionnement. De beaux débats en perspective, impossibles à esquiver.
Comment la crise Covid-19 a-t-elle impacté votre entreprise et votre équipe ?
Notre entreprise de mobilité est affectée de plein fouet par les conséquences du Covid-19. Le tourisme étant à l’arrêt, l’ensemble de nos activités loisirs l’est aussi. Notre branche Van& Trucks quant à elle, compense en partie le ralentissement économique global par un support aux logisticiens du e-commerce. Enfin notre présence de proximité, notamment via nos services de voiture partagée (car sharing), se développe dans les métropoles où ce mode flexible de transport vient en complément des transports en commun.
Cette crise offre également l’occasion de montrer d’autres facettes de notre métier et de déployer de nouvelles expertises. Jadis caricaturé en empêcheur de business, le juriste aujourd’hui apporte les solutions et préserve l’entreprise. Sa contribution est inchangée mais le regard sur son métier a changé. En attendant d’autres évolutions.