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Interview de Nathalie Jauffret, Avocate au Barreau de Paris et Présidente de l’association Assistance Médicale Toit du Monde (AMTM) qui aide les communautés, en Inde et au Népal, notamment en matière de santé et d’éducation.


Pouvez vous vous présenter en quelques

Avocate au barreau depuis plus de 30 ans j’ai eu la chance d’avoir une double activité de conseils et judiciaires au sein de cabinets renommés auprès d’entreprise, d’associations humanitaires et d’une clientèle privée. J ‘y assume la responsabilité et le suivi intégral de dossiers, de la réception à l’exécution en passant par l’élaboration de la stratégie et des actes ainsi que les plaidoiries devant toutes les juridictions.

A quel moment de votre parcours professionnel s’est imposé la volonté de vous tourner vers l’humanitaire ?

Je crois que j’ai toujours eu cette fibre humanitaire ; en 2006, l’association Assistance Médicale Toit du Monde (AMTM) m’a demandé de l’aider dans le cadre d’un leg qu’elle avait reçu car les formalités juridiques étaient un peu complexes. J’ai contacté le notaire en charge de cette succession pour faire avancer le dossier.

  • Quelles étaient alors vos motivations personnelles et professionnelles ?

Pour la première fois, l’usage du droit me permettait de rendre service à une association humanitaire. J’ai découvert à quel point une structure associative a, au-delà de toutes les bonnes volontés, de plus en plus besoin d’un juriste ou d’un avocat bénévole, dans notre monde de plus en plus judiciarisé.

J’ai accepté cet engagement bénévole qui m’a menée jusqu’à la présidence de cette association en 2016. Découvrir le continent asiatique et en particulier le Népal, pays mythique que je ne connaissais que par mes lectures à travers les romans d‘aventures d’Alexandra David-Neel (féministe avant l’heure) et l’œuvre de Barjavel « Les Chemins de Katmandou » donnait une réalité et un sens à ma vie.

  • Comment parvenez-vous à concilier votre activité d’avocate et votre engagement associatif ? Quels types de conflits êtes-vous accoutumée à gérer dans ce double rôle ?

Cela est une vraie gageure ! L’engagement associatif est totalement chronophage. Difficile de ne pas y passer ses soirées et les week-ends après une journée d’avocature. Mais, le temps d’attente aux audiences permet aussi de régler grâce à la digitalisation pas mal de petits sujets. Merci à WhatsApp et à Viber qui facilitent les échanges !

  • Pour quelles raisons AMTM s’investit-elle particulièrement en Asie plutôt que dans telle ou telle autre région du monde où sévissent aussi dramatiquement la pénurie sanitaire et la pauvreté ?

AMTM s’est engagée historiquement par le hasard de la vie et des rencontres en 1992, il y a 30 ans, confrontée à la détresse et la misère de la population tibétaine en exil en Inde et au Népal particulièrement atteinte à l’époque de tuberculose endémique avec des conditions de vie désastreuses. L’amitié née des rencontres de voyages personnels a rendu évidente la création de cette association.

  • Qui sont vos interlocuteurs locaux, vos relais ?

A ce jour, en particulier au Népal, l’association a créé une équipe locale avec laquelle elle collabore au quotidien. Nous avons recruté une jeune manager népalaise et travaillons avec des médecins et infirmiers locaux. Nous louons un appartement sur place qui nous permet de stocker tout notre matériel dont tous les médicaments que nous achetons sur place à des pharmacies et des grossistes agréés. Nous travaillons avec des entreprises locales pour tous les travaux d’ingénierie (construction, forage de puits ; panneaux solaires…) et dès que possible avec des associations locales.

  • Comment travaillez-vous concrètement avec vos partenaires de terrain ?

Nous allons environ trois fois par an en mission sur le terrain avec nos équipes françaises faire le point de nos actions dans le respect de la culture de nos partenaires : 29 monastères, écoles et orphelinats que nous rencontrons une fois par an. Cela nous permet d’identifier les besoins et de monter sur place des projets locaux (campagnes de vaccinations, lutte contre l’hépatite B, projets pour une eau potable en qualité et en quantité, accès à l’hygiène, accès à du matériel scolaire…)

Ensuite, en France, nous montons des événements et faisons des campagnes de communication pour lever des fonds. De plus en plus, nous achetons notre matériel sur place pour faire vivre les petits commerces. Tout ces échanges se font en anglais et avec l’aide de traducteurs locaux. Ces missions sont toujours l’occasion de véritables dialogues qui nous permettent de confronter nos désirs avec leurs attentes.

  • Combien de temps dure votre mandat à la tête de l’AMTM et quels objectifs vous êtes-vous fixés ?

J’ai été élue présidente en 2016 pour un mandat de deux ans, qui depuis a été renouvelé…

Mes objectifs majeurs sont d’aller à la rencontre de ces peuples himalayens et d’œuvrer dans un profond respect de l’autre. La situation des femmes est encore très préoccupante dans ces pays. Nous essayons de faire évoluer les mentalités avec des projets qui touchent à l’hygiène corporelle et intime. Nous avons monté des projets pour leur donner une autonomie professionnelle. Pour les enfants dont les filles, cela passe par l’éducation dans les écoles dont nous sommes partenaires.

  • La situation sociale, économique et sanitaire est-elle totalement comparable au Népal et en Inde ?

L’Inde et le Népal sont voisins.

Les deux pays entretiennent des relations amicales depuis des temps immémoriaux, mais le Népal est minuscule par rapport à l’Inde. La frontière indo-népalaise est une frontière poreuse. L’Inde est cependant un pays émergent et une puissance internationale ; le Népal reste un pays en voie de développement sans aucune ressource, tourisme mis à part. Le Népal est un petit pays coincé dans l’enjeu stratégique qui se joue entre l’Inde et la Chine.

  • L’Inde développe pourtant depuis des années de grandes compétences en matière de recherche et d’innovation médicale.

En dépit de ces compétences, l’Inde a été confrontée à une crise majeure lors du Covid. Inde et Népal ont fait face en mai 2021 à une seconde vague alarmante, privés de vaccins, de tests et d’oxygène, avec des systèmes de santé totalement dépassés. Le coronavirus est allé jusqu’au camp de base de l’Everest. Le Népal a dû faire face à une désertion du tourisme qui entraîne encore aujourd’hui de graves conséquences économiques. L’Inde de son côté a fait face à un énorme exode rural. Dans les deux pays, les écoles ont été fermées de nombreux mois. L’enjeu est aujourd’hui de réduire la fracture numérique afin que les populations les plus pauvres aient de nouveau accès à l’éducation.

  • Dans ces 2 pays comment est organisé l’accès à la justice ?

Il existe deux traditions juridiques majeures dans le monde : la « common law » et le droit civil.  La plupart des pays ont intégré des caractéristiques de l’une ou de l’autre dans leurs propres systèmes juridiques. La principale différence entre les traditions juridiques de « common law » et de droit civil repose sur la source principale du droit.

Les systèmes de « common law » considèrent les décisions judiciaires comme la source la plus importante de la loi, les systèmes basés sur le droit civil mettent l’accent sur le droit codifié.

La justice népalaise fut pendant longtemps administrée selon des pratiques coutumières et des règles religieuses. L’organisation judiciaire actuelle suit le modèle de Common law.

L’Inde possède, elle, un système unifié et intégré de juridictions, qui appliquent à la fois le droit des Etats fédérés et un droit fédéral. Le système juridique indien mis en place par les Britanniques, est un système mixte avec une profonde influence de la Common Law.

  • Quels enseignements tirez-vous pour votre pratique d’avocate de votre expérience dans l’humanitaire ?

Cet engagement humanitaire a certainement eu un impact dans ma pratique. J’ai développé des activités avec de nombreuses associations françaises (plutôt qu’avec des banques…) et un engagement auprès des personnes vulnérables.

  • Quels conseils aimeriez-vous donner à de jeunes juristes attirés par un engagement dans l’humanitaire ? Qui contacter pour affiner son projet ? Où s’adresser pour un recrutement aussi fécond que professionnel ?

Le meilleur des conseils est d’avoir envie de faire pour les autres !!!

Sur le plan du droit, les formations de droit international public ou privé et de Droit de l’Homme ont toujours permis, sans aucun doute, de travailler dans des organismes internationaux.

L’humanitaire s’est professionnalisé au XXIème siècle.

Il existe désormais des diplômes universitaires spécialisés et des masters ONG.

Le centre Bioforce à Lyon pour les métiers de l’humanitaire propose de nombreux parcours et formations de tous niveaux.

Mais l’essentiel reste la pratique et l’engagement au quotidien !